Liberté(s) académique(s) – un enjeu de société à l’aube du XXIème siècle

25 mars 2022

Distanciel ET présentiel à l’université Paris Dauphine (salle Raymond Aron)

 

Les réformes statutaires possiblement induites par la récente loi de programmation de la recherche ont éveillé autant de revendications que de débats sur la ou les liberté(s) académique(s), cet ensemble de « privilèges » qui garantit aux universitaires et par extension à tout enseignant-chercheur la possibilité de professer et d’orienter ses recherches librement, dans la limite du contrôle par les pairs, et seulement les pairs. Y percevoir la seule défense des intérêts d’un groupe professionnel serait une erreur, car c’est bien de l’affranchissement de la connaissance et de sa fabrique de touteforme de domination qu’il s’agit. Limiter à la loi le spectre des menaces qui pèsent sur l’exercice de cette liberté est aussi une erreur.Dans le champ des sciences humaines, en particulier (l’actualité nous montre, hélas, que d’autres sciences sont reléguées par le public à la production d’opinions comme d’autres), la liberté des enseignants-chercheurs rétrécit comme une peau de chagrin, attaquée qu’elle est, d’un côté, par des procès en idéologie, de l’autre, des procès en illégitimité à traiter d’un sujet, procès fondés les uns comme les autres sur des critères qui n’ont rien de scientifique. Plus précisément encore, dans le domaine des sciences de gestion, le financement de la recherche, son évaluation aux prises avec le mimétisme des sciences dures, la mainmise d’une poignée de plateformes sur la diffusion de la connaissance limitent encore le champ des possibles.Il devient nécessaire qu’une société savante comme la Société Française de Management se penche sur ces problématiques et propose des alternatives au monde académique tel qu’il se dessine.

Programme du séminaire

 
8h45: Accueil des participants
 
9h00-9h15: Accueil par El-Mouhoub Mouhoud, Président de l’université Paris-Dauphine
 
Introduction de la journée par:
 
Frédérique Alexandre-Bailly, Présidente de la SFM
Jérôme Méric, Université de Poitiers
 
 
Depuis sa création en 2001, la Société Française de Management, a contribué, au cours de ses séminaires et sessions, à défricher plusieurs tendances porteuses de ruptures potentielles et à enrichir les débats centrés sur la recherche en management. En 2022, le séminaire hivernal de la SFM portesur la liberté académique à l’aube du XXIème siècle.La notion de liberté académique est un principe historique de l’enseignent supérieur remontant au Moyen Age avec l’apparition des premières institutions universitaires, qui s’émancipent des pouvoirs royaux et ecclésiastiques. Véritable pierre angulaire dans l’enseignement supérieur en France, l’indépendance et la liberté d’expression des enseignants-chercheurs sont reconnues au niveau législatif: « Les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs jouissent d’une pleine indépendance et d’une entière liberté d’expression dans l’exercice de leurs fonctions d’enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du présent code, les principes de tolérance et d’objectivité. » Pour autant, comment interagissent, dans les usages, liberté formelle et liberté réelle? Quel est le contenu pratique de cette liberté académique? Les logiques de carrières actuelles, influencées par les nouvelles normes de performance académique que dicte par le modèle anglo-saxon, pourraient-elles menacer les libertés académiques ? En quoi la nécessité de plus en plus impérieuse de trouver des financements pour conduire les recherches, l’évaluation de la production scientifique ou encore la digitalisation pourraient-elleségalement mettre en péril ces libertés ? Autant de questionnements particulièrement actuels, qui seront explorés dans 5tables rondes. Ces questionnements sont aussi autant de fenêtres d’opportunités pour adapter nos pratiques face à des risques de domination et pour garantir le principe d’une autonomie de la recherche et d’une liberté de parole des enseignants chercheurs.
 
09h15-10h00: Droit, philosophie et liberté(s) académique(s)
 
Table ronde animée par Jérôme Méric (Université de Poitiers) avec:
 
Didier Veillon, Université de Poitiers
Romain Laufer, HEC-Paris
 
 
Le concept de liberté(s) académique(s) ou de libertés universitaires n’est pas défini à proprement parler par le droit français même si certains textes nous permettent d’en dessiner les contours. Quoi qu’il en soit, l’idée revêt une importance cruciale dans nos sociétés libérales et démocratiques dont elle constitue à n’en pas douter un fondement. Aussi apparait-il nécessaire d’en analyser les origines historiques et l’évolution jusqu’à nos jours alors que des universitaires sont désormais la cible d’attaques remettant en cause la nature de leurs travaux en fustigeant leurs auteurs par divers procédés d’intimidation.Cettemise en perspective historique del’actualité entre en résonance avec l’un des derniers écrits de Kant, Le conflit des facultés, dans lequel le philosophe exprime sa méfiance à l’égard d’un régime dont le monarque éclairé vient de s’éteindre, et rappelle la nécessité de protéger les «facultés faibles»contre ceux qui pourraient prétendre produire un savoir concurrent en s’affranchissant de la discipline universitaire.
 
 
10h00-11h15: Carrière des enseignants-chercheurs et liberté(s) académique(s)
 
Table ronde animée par Françoise Dany (emlyon Business School)et Gwenaëlle
Nogatchewsky (Université Paris Dauphine) avec:
 
Catherine Casamatta, Toulouse School of Management
Aude Deville, IAE de Nice, Université Côte d’Azur, Présidente de la section sciences de gestion et du management du Conseil National des Universités
Valérie Fournier, chercheuse indépendante, attachée à la Fédération Européenne des Banques Ethiques et Alternatives (FEBEA)
 
 
A l’université ou en école, les libertés académiques sont-elles menacées par les nouveaux modes de gestion des carrières des enseignants-chercheurs?Dans les universités françaises, la gestion des carrières des enseignants-chercheurs connaît une révolution. Elle se faisait jusqu’à présent par les pairs, notamment au travers du conseil national des universités et de l’agrégation du supérieur. La récente LPR (Loi de programmation de la recherche) et ses derniers développements suppriment peu à peu l’échelon national pour reporter le travail de sélection et de gestion des carrières entièrement sur les universités. Outre le renforcement du localisme et ses dérives potentielles sur les libertés académiques, ceci risque de conduire à différencier les appréciations d’une université à l’autre de ce qu’est un enseignant chercheur.
 
Dans les écoles de management, les règles de gestiondu corps professoral varient selon les institutions. Les «manuels de la Faculté» s’efforcent de concilier des logiques d’établissement avec «des normes de la profession» émanant par exemple des organismes accréditeurs (EQUIS, AACSB, CEFDG…) ou des classements des revues établis par les pairs. Des exemples de sanctions à l’encontre d’enseignants-chercheurs qui satisfaisaient pourtant aux exigences en vigueur (en termes de publication, qualité de la pédagogie…) témoignent toutefois de volontés d’imposer des décisions de la gouvernance au mépris de toute autre règle. Ces exemples posent la question des dispositifs permettant de contenir un pouvoir managérial ignorant les spécificités de l’ESR et son corollaire en termes de liberté académique. Ils invitent à revoir les mécanismes de production et d’imposition de normes pour régir les carrières et concilier «l’adaptation aux spécificités locales» et «la protection de principes fondamentaux pour la profession».
 
La table ronde carrières des enseignants-chercheurs et libertés académiques propose d’aborder ces questions à travers des points de vue différents:
 
Catherine Casamatta et Aude Deville se focaliseront sur la gestion des carrières à l’université, Valérie Fournier donnera un éclairage sur les carrières à l’international et dans les écoles de management.
 
 
11h30 -12h45: Organisationde la recherche, évaluation de la production scientifique et liberté académique
 
 
Table ronde animée par Baptiste Rappin(IAE Metz School of Management, Université de Lorraine) et Blanche Segrestin (Mines ParisTech) avec:
 
 
Olivier Beaud, Université de Panthéon-Assas
Yves Gingras, Université du Québec à Montréal
 
 
Comment penser l’organisation de la recherche contemporaine en cohérence avec la liberté académique ? Mettreen rapport la recherche et la liberté académique semble aller de soi, tant l’activité même de la recherche repose sur la liberté, aussi bien du point de vue de son déploiement (la recherche comme praxis) que sous le prisme du droit (en France, la reconnaissance de l’indépendance du chercheur par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 20 janvier 1984). Pourtant, les menaces sur la liberté académique ne sont pas toutes «externes» au système universitaire, loin s’en faut. Nombre d’exemples montrent la variété des menaces qui proviennent de l’organisation de la recherche elle-même: écoles de management soumises aux évaluations de leurs investisseurs bien sûr, mais aussi universités soumises à l’inflation de règlements administratifs ou encore à l’instauration de nouvelles instances d’évaluation. Cette table ronde a pour finalité d’examiner l’articulation entre organisation de la recherche et libertés académiques sous deux angles: celui de la gouvernance de l’université et des instituts de recherche (notamment suite à la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, dite LRU de 2007), ainsi que sous celui des pratiques professionnelles contemporaines, normes de gestions et pratiques de l’évaluation de la recherche.
 
Olivier Beaud s’attacheraà saisir les tensions contemporaines de façon a priori surprenante: car, plutôt que faire peser la responsabilité du recul de la liberté de recherche sur le seul néolibéralisme, dont il ne nie certes pas les effets, il place toutefois l’accent sur le joug de l’administration ainsi que sur la concentration des pouvoirs issue de la LRU.
 
Yves Gingras, historien et sociologue des sciences, interrogera quant à lui les conditions de l’exercice de la liberté académique face à l’influence grandissante des normes d’évaluation bibliométriques.
 
 
14h15: Accueil de l’après-midi
 
 
14h15-15h30: Modèles économiques de l’ESR et liberté(s)académique(s)
 
 
Table ronde animée par Lena Masson (IAE de Lille, Université de Lille) et Olivier Saulpic(ESCP) avec:
 
 
Anne-Sophie Barthez,Directrice générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle
MESRI Isabelle Huault,Directrice emlyon Business School
Alessia Lefebure,Directricede l’Institut Agro Rennes Angers
 
 
La liberté dont les universitaires disposent théoriquement dans le cadre de leurs fonctions, en matière de recherche scientifique, d’enseignement, d’expression (parfois critique), est supposée s’exercer sans pressions. Pourtant celles-ci s’accroissent, en particulier sous l’effet de l’augmentation des contraintes économiques qui pèsent sur l’ESR. Différentes réformes, le développement de la compétition entre établissements et la présence de nouveaux entrants, alliées à des ressources insuffisantes ont en effet conduit les acteurs de l’ESR à adopter de nouvelles stratégies, de nouveaux modes de financement et d’organisation.
 
Cette table ronde visera à analyser ces transformations, dans le contexte français et dans celui des sciences de gestion plus spécifiquement, leurs conséquences en termes de libertéacadémique, et à identifier et mettre en débat quelques évolutions du (des) modèle(s) économique(s) de l’ESR qui permettraient de mieux garantir cette liberté.
 
 
15h45 -17h00: Digitalisation et libertés académiques
 
 
Table ronde animée par Mathias Béjean (Université Paris Est Créteil) avec:
 
 
Julienne Brabet, Université Paris Est Créteil
Valérie Charrière-Grillon, CNAM
Johanna Habib, Aix-Marseille Université, présidente de l’AIM
 
 
La digitalisation constitue-t-elle une formidable opportunité ou au contraire un grave danger pour les libertés académiques? Elle peut permettre de mieux communiquer entre collègues, entre et avec les étudiants, avec la société, de mieux coopérer en matière de production (Open Science) comme de diffusion des savoirs (Open University) au-delà toutes les frontières institutionnelles et nationales. Elle peut permettre de formidables innovations pédagogiques facilitant la formation émancipatrice qui justifie les libertés académiques. La digitalisation comme formidable accélérateur de tendances à l’œuvre constitue également un grave danger pour ces libertés. Ainsi, les réseaux sociaux peuvent constituer une arme contre les nécessaires débats scientifiques. Ainsi, des formations centrées sur le développement des «méta compétences», risquent d’être non pas enrichies mais remplacées par des «modules» de téléenseignement certifiants s’appuyant sur un découpage instrumental de compétences techniques ou sur des cours prestigieux ne développant pas la réflexivité (la formation PAR la recherche). L’oligopole des grandes plateformes, AWS et Microsoft Azure qui investissent massivement dans les modules d’enseignement et les partenariats avec les universités, deviendront-ils l’infrastructure, la marketplacedes formations ou la nouvelle université ?La réponse à la question dépend de notre capacité à être à la hauteur des libertés académiques et à faire reconnaitre la valeur de ces libertés en termes de progrès scientifique et de démocratie.
 
 
17h00 -17h15: Synthèse et conclusion avec Frédérique Alexandre-Bailly, Présidente de la SFM
 
 
17h30 : Moment convivial